Ambition et esprit d´innovation
Les Algériens connaissent sûrement la marque aux deux chevrons, mais pas forcément son histoire ni celle de son fondateur. André Citroën, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a associé son nom à l’Algérie à jamais. Une stelle commémorative du premier grand raid du Sahara existe toujours à Touggourt. Pour vous, L’auto-marché a fouiné dans les archives et a reconstitué l’histoire d’une marque et d’un homme exceptionnel, d’une ambition et d’un esprit sans pareil.
Le grand raid Citroën du Sahara
En 1923, aux débuts de la grande aventure automobile, le constructeur Citroën se lance dans un pari audacieux, à la hauteur de son fondateur André Citroën ; relier le Maghreb à l´Afrique occidentale, Touggourt au cœur des oasis algériennes à Tombouctou, la perle du désert au Mali, 3200 km en plein désert. Quand Henry
Ford, fils d’un fermier irlandais immigré aux Etats-Unis, fonde en 1902 sa première société de construction automobile, la Henry Ford Company, dans le Michigan puis la Ford Motor Company, en 1903, personne ne se doute alors que la voiture va devenir le plus grand ami de l´homme jusqu´à poser des problèmes de couple des décennies plus tard. En 1913, Ford lance la fabrication en grande série et la normalisation des principales pièces. La Ford T sort des chaînes de montage en 1908 au prix – accessible aux classes moyennes- de 950 dollars ; la construction automobile est lancée et dès lors, en Europe, de nouveaux producteurs vont apparaître dans la foulée de cette invention majeure du début du XXème siècle. William Morris en Grande-Bretagne et André Citroën en France se mettent à leur tour à fabriquer des automobiles. En 1919 est fabriquée la première voiture construite en Europe en grande série, la Citroën type A. C´est cet homme, André Citroën, fraîchement sorti de l´école polytechnique, qui va montrer le plus grand esprit d´innovation. Alors que Ford lance la voiture à crédit, Citroën lance deux nouvelles prestations en matière de service après-vente, la révision gratuite après rodage et la garantie d’un an contre tous défauts de fabrication. Il lancera aussi la première voiture au monde équipée en série de freins à disque à l’avant, la Ds19 et la petite Rosalie, une 8cv équipée d’une carrosserie spéciale, qui bat un record mondial de distance en circuit fermé 300.000 km. La course aux performances est ouverte et il faut rivaliser d´ingéniosité pour fournir des voitures solides et fiables. André Citroën a la passion des défis autant que de la nature. Quoi de mieux pour prouver les qualités et les performances sur le long terme d´une voiture que de l´envoyer fouler les déserts, les pistes et les étendues rocailleuses ? A cette époque, le Sahara est à peine remis de l´entrée violente de la France et les guerriers ont soufflé, remettant le combat à plus tard. En outre, jamais aucune automobile n´a foulé ces déserts de sable et de pierre. A l’issue de la Première Guerre mondiale, le projet d’une liaison sûre et rapide entre la France métropolitaine et l’Afrique équatoriale séduit coloniaux et industriels et trouve un écho très favorable dans les milieux militaires et scientifiques, un projet que l’automobile peut rendre réalisable. L´Afrique est un continent mystérieux, qui fascine toujours les foules et les élites. Le Sahara, qui relie le Maghreb à l´Afrique noire ne l´est pas moins et à cette époque, franchir le plus grand désert du monde n´est pas une mince affaire. Pour cela, Citroën fait fabriquer des automobiles à chenilles Kegresse, du nom de l´ingénieur qui les a mises au point, à qui Citroën doit déjà depuis 1921 des voitures d’un type nouveau équipées de bandes de caoutchouc sans fin qui permettaient de circuler hors des routes, sur des terrains variés. Citroën saisit l´occasion pour imaginer un raid dans le Sahara avec des voitures à chenilles d´un genre nouveau. Le risque est grand, les populations sont hostiles à la présence française et les territoires du Grand Sud pratiquement inconnus. Traverser le Tanezrouft, le désert des déserts est toujours dangereux, pour les Touaregs euxmêmes qui le craignent et ne le traversent que quand ils y sont obligés, les points d´eau étant espacés de 300 kilomètres et l´absence de repères dans cette étendue totalement plate rendant la navigation difficile, en voiture ou à dos de chameau. Les maisons rivales Berliet et Peugeot ne s´étaient jamais aventurées si loin, mais André Citroën a des chenilles, une logistique considérable, et après un premier repérage, il se lance dans l´aventure. A côté, le Paris-Dakar est un jeu de piste pour enfants de riches. Le 7 janvier 1923, après avoir franchi le Sahara par le Hoggar et le Tanezrouft, la mission Haardt/Audouin-Dubreuil entre à Tombouctou, la perle du désert et le premier courrier transsaharien automobile est remis au commandant de la région de Tombouctou, le colonel Mangeot lors d´une officielle cérémonie.
La première traversée du Sahara en automobile
C´est une première. Franchissant des régions désertiques jusquelà redoutées pour leur rudesse, la mission s´engage sur les pistes non balisées le 17 décembre 1923, en plein hiver, au départ de Touggourt et au pied de la stèle érigée pour cet événement, encore présente aujourd´hui au centre de la ville. Le lendemain, la mission est déjà à Ouargla, à 200 km au Sud. Elle s´élance le même jour vers le puits de Hassi Inifel dans l´oued Mya à 350 km, de là , en longeant la bordure ouest du grand erg oriental, à travers le plateau désolé de la hamada El Atchane. Le puits est atteint en 2 jours et la mission rencontre sur les confins septentrionaux du Mouydir, au nord du Hoggar, le couple Citroën accompagné de l´ingénieur Kégresse, venus au-devant d´elle sur un groupe léger d´automobiles à chenilles, par le Tadmït et les dépressions du Tidikelt. Une mission de repérage est envoyée pour évaluer le tronçon jusqu´à In Salah et revient avec les informations nécessaires sur le trajet à emprunter. In Salah, au cœur de la plaine du Tidikelt, est atteinte en deux jours supplémentaires, pour une distance de 420 km. C´est là que l´expédition, partie sur les chapeaux de roue, décide de souffler un peu. Les membres de la mission restent 3 jours dans le Tidikelt, détaillant la flore et la faune, prenant des photos et liant quelques amitiés avec les habitants de la région, surpris de voir ces étranges machines à chenilles traverser leur désert. Le 24 décembre, la mission repart à l´assaut du Hoggar oriental, par les pentes escarpées de l´Ahnet et du Mouydir. Elle entre à Tit, à l´est de Tamanrasset, parcourant 800 km en deux jours. Pourtant, la vitesse est faible, n’atteignant que 8 km/h sur le sable, 10 à 20 km/h sur les regs et seulement 4 à 8 km/h sur les sols escarpés. La mission atteint Tin Zaouaten, à la frontière actuelle du Mali, en 3 jours supplémentaires, parcourant 500 km à travers les tassilis du Hoggar et de Tin Rerhoh. La frontière est passée, et en deux jours, la mission est à Kidal, au cœur de l´Adrar Ifoghas des Touaregs du Mali, le 2 janvier 1923, pour la nouvelle année. Le reste du trajet est avalé avec la même dextérité. Le sahel est atteint en 5 jours, par Bourem d´abord pour arriver le 7 janvier à Tombouctou, à 600 km au sud de Kidal. C´est ainsi, que de haltes en repérages d´éclaireurs, avec la participation de guides locaux embarqués à bord des automobiles, la mission parvient à traverser le désert, Sahara et Sahel, jamais foulés par une automobile. Au terme d’un parcours de 3.200 km, l’expédition parvient ainsi à établir la liaison entre l’Afrique du Nord et l’Afrique occidentale française. Cette expédition aura connu plusieurs difficultés, pannes mécaniques et maladies humaines, mais aura réussi à faire cette traversée sans jamais se perdre et en un temps record.
Techniquement, la consommation moyenne aura été de l’ordre de 30 litres au 100 km en moyenne et la logistique mise en place impressionnante ; les voitures, des 10HP du type 82, étaient habillées de carrosseries spéciales comportant deux places à l’avant et une place au milieu en retrait. Les coffres arrières des voitures contenaient l’outillage, les pièces détachées de secours, les médicaments, les munitions, etc. Entre ces compartiments et le châssis se trouvent les réservoirs d’essence, on avait disposé les coffres à vivres et les réserves d’eau potable et installé trois mitrailleuses d’aviation pour assurer la sécurité, mais renoncé à emporter un équipement radio, les postes de l’époque étant trop lourds et trop volumineux. Arrivées à Tombouctou le 7 janvier, les cinq voitures repartent le ler février pour remonter vers Touggourt. Au passage à Bourem, elles reprennent à leur bord MM. Haardt et Audouin- Dubreuil qui avaient voulu remonter le Niger en pirogue et font un crochet par Tamanrasset pour aller s’incliner sur les tombes du J.P. de Foucauld et du général Laperrine. Elles parviennent le 25 février aux confins du Mouydir où les hommes de la mission retrouvent M. et Mme André Citroën, accompagnés du général Estienne et d’Adolphe Kégresse, venus à leur rencontre dans des autochenilles légères. Le 6 mars 1923, la caravane au complet rentre à Touggourt, ayant remporté un succès total sur le désert. La première traversée du Sahara se sera faite en 21 jours du 17 décembre 1922 au 7 janvier 1923, au cours desquels elle couvre 3.200 kilomètres non jalonnés entre Touggourt et Tombouctou.
L´ouverture de l´Afrique
Cette première mondiale n´aura pas seulement servi à prouver la fiabilité de l´automobile dans les raids de ce type mais aussi recueillir une importante documentation artistique, scientifique et économique pour le compte de certaines institutions publiques ou scientifiques comme le ministère des Colonies, le sous-secrétariat d´État à l´aéronautique, le Muséum national d´histoire naturelle ou la Société de géographie de Paris. Mais aussi pour les militaires, cherchant à l´époque les meilleures pistes pour encadrer les colonies africaines et surtout, le meilleur moyen de transport pour acheminer la logistique nécessaire. Pour André Citroën, d´ailleurs, il fallait se préparer à la prochaine guerre qui, pensait-il, fera davantage recours à la technique et à l´automobile. Ce fut effectivement le cas, la Deuxième Guerre mondiale qui se profilait à l´horizon sera celle des chars à chenilles, successeurs des automobiles à chenilles, qui firent la différence sur les champs de bataille d´Europe et d´Afrique. C´est aussi à cette époque que le cinéma et la photographie prenaient leur essor, et ces raids à travers l´Afrique furent l´occasion pour monter des expositions en Europe avec des prises de vue cinématographiques relatant la vie des Africains, à travers des représentations chorégraphiques ou des images de leur vie qui attirèrent l´attention du public métropolitain et étranger sur ce continent inconnu. Plus tard, de par sa première expérience à travers le Sahara et l´Afrique, André Citroën organisera deux autres raids, la Croisière jaune à travers l´Asie et le terrible désert de Gobi et la Croisière noire, à travers les fins fonds de l´Afrique Noire. Le raid du Sahara, le premier du genre, aura marqué les esprits et ouvert la voie à d´autres raids et expéditions à travers des territoires inexplorés de la planète et dans ce cadre, la marque aux 2 chevrons aura marqué profondément cette époque. Au fait, quelle est l´origine de l´emblème de Citroën, le double chevron ? C´est mécanique, il s´agit de la représentation d´un engrenage. Chawki Amari
Dirigée par George-Marie Haardt et Louis Audouin-Dubreuil, elle était constituée de dix hommes répartis dans cinq autochenilles portant chacune un emblème et un nom :
- Autochenille N° 1, Scarabée d’Or, voiture de commandement de G.M. Haardt pilotée par Maurice Billy.
- Autochenille N° 2, Croissant d’Argent, voiture de Louis Audouin-Dubreuil, pilotée par Maurice Penaud.
- Autochenille N° 3, Tortue Volante, voiture de Paul Castelnau (géographe et cinéaste), pilotée par Roger Prud’homme.
- Autochenille N° 4, Chenille Rampante, voiture du lieutenant Georges Estienne (adjoint aux chefs de mission) pilotée par Fernand Billy.
- Autochenille N° 5, Bœuf Apis, voiture de l’adjudant du Génie Chapuis (guide et interprète), conduite par René Rabaud.
L´ouverture de l´Afrique
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