C’est de ma faute… je le regrette
Qui mieux que l’ancien ministre de l’industrie des années 60 et 70 pour nous parler de l’industrie automobile en Algérie ou plutôt qu’est ce qui a fait que notre pays ne possède pas d’usine à l’heure actuelle. M. Belaid Abdesselam, nous a reçu chez lui, pendant deux heures pour nous parler de ce sujet qui tient tant aux coeurs des Algériens jusqu’à en devenir une obsession. Celui qu’on nommait le père de l’industrie algérienne semble très touch é par ce ratage, ceux qui le connaissent bien seront sûrement étonné de l’entendre exprimer un regret ou d’avouer un échec. D’entrée et au seuil de sa porte, avant même que nous commencions cette interview, il nous lança : « cette histoire de l’usine automobiles c’est mon crève coeur ». L’ex-ministre, fait des efforts pour se remémorer avec précisions tous les détails d’un projet grandiose qui n’a pu voir le jour et qui aurait pu aujourd ‘hui, faire le bonheur de l’économie nationale. Cependant, pour M. Belaid Abdesselam, il ne faut pas confondre entre une usine de montage et de fabrication, car cette première a existé à El Harrach, et c’est un mauvais souvenir, pour l’Algérie d’après indépendance. Il nous a plutôt parler d’un projet fin prêt d’une usine Renault à Oran, là, il s’agissait de la fabrication automobile, d’un investissement de 20 milliards de francs, où il ne manquait que le signal pour le démarrer et dire qu’une partie des Algériens ne connaissent pas cette histoire, et c’est là où M. Abdesselam a des remords et il reconnait « sa faute ». L’ex-ministre même s’il avoue sa part de responsabilité, il n’exclue pas pour autant quelques chantages et autres conditions presque inacceptables de ses interlocuteurs. Dans l’entretien qui suit, on notera certains éclaircissements, sur l’industrie automobile qui semble toujours rester au même point de départ et qu’il serait difficile dans les conditions qu’imposent les constructeurs de voir l’Algérie se doter, un jour, d’une usine d’assemblage ou autres.
L’auto-marché : M. Belaid Abdesselam, vous étiez ministre de l’industrie dans les années 60 et 70, et vous avez vécu la période ou l’Algérie possédait une usine de Montage automobile qui a fermé ses portes sous votre règne, et puis vous vous êtes lancé sur un autre projet que vous appelez usine de fabrication qui n’a jamais vu le jour, peuton en connaître les raisons ?
M. Belaïd Abdessalem : Cette histoire d’usine automobile, c’est mon crève coeur, un de mes plus grand regret, c’est un projet sur lequel on a travaillé presque dix ans et qu’on a pas mis en marche. A l’indépendance, l’Algérie avait déjà une usine de montage à El Harrach que Renault avait installé dans le cadre du plan de Constantine, c’est donc juste après l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir, qui avait voulu lancer un semblant d’industrialisation de l’Algérie évidement pour dire aux Algériens que leur avenir est avec la France et non avec l”indépendance, dans cette philosophie c’est de faire de l’Algérie une province industrialisée. Donc, il y a eu aussi l’usine de montage de camions Berliet, il faut dire qu’à l’époque le marche algérien n’était pas important, l’usine de voitures, je crois c’était des R4, produisait entre 14 000 et 15 000 unités pour une population de 9 millions d’habitants dont un millions d’Européens, donc la consommation était plus orientée vers ces derniers. A l’indépendance et avec le départ des Européens, la clientèle qu’avait Renault n’existait plus, il s’est retrouvé avec un problème d’écoulement, et c’est alors que Renault a commencé à nous poser des problèmes de fonctionnement de cette usine et surtout de ses employés et Berliet avait la même inquiétude, le chantage a donc commencé, si on arrive pas à vendre on ferme l’usine. Notre gouvernement à l’époque faisait des efforts pour trouver les clients à l’extérieur, on a demandé à la Chine d’acheter quelques camions, à Cuba… Enfin pour certains pays amis pour ne pas réduire nos ouvriers au chômage, c’était donc la période allant de 1962 à 1965, et après c’est l’arrivée de Boumediene au Pouvoir et j’ai pris le ministère de l’Industrie donc fallait régler ce problème et aussi passer à l’industrialisation de l’Algérie, parallèlement à ce qui se passait chez nous, il y avait d’autres pays qu’on appelaient tiers monde ou en voie de développement, un pays comme l’Espagne, sous le régime Franquiste, qui commençait à se réveiller ainsi que ceux de l’Amérique latine qui avaient chez eux des usines de montage réalisé par des industriels Américains et Européens. A partir de là, une question commençait à se poser, à savoir pourquoi une usine de montage mais pas de fabrication et nous, à notre tour, on a fait de même, les constructeurs eux disaient on veut bien mais vous n’avez pas de marché suffisant pour absorber la production.
On était donc pas sorti de l’auberge c’est la même question qui revient jusqu’à l’heure actuelle ?
Oui, c’est des questions qu’on nous imposaient. Cependant certains pays qui avaient une certaine base comme l’Espagne même si elle était en retard sur le reste de l’Europe avait un niveau de vie malgré tout supérieur au nôtre, donc, elle avait un marché, comme en Amérique du sud : l’Argentine, le Brésil… et qui ont une population assez élevée et ont donc posé une condition, ou bien vous intégrez, entre parenthèse, ce terme qui a disparu chez nous, c’est-à-dire vous fabriquez tout localement, sinon on ferme, et à ce moment là s’est engagé une sorte de course à celui qui gagnerai le marché et c’est comme ça que s’est développé les industries automobiles dans ces pays. Pour l’histoire au Mexique, en 1967, j’ai visité une usine, que Renault avait installé beaucoup plus pour défier les Américains et gagner une place sur une chasse gardée et en même temps, l’usine se trouvait dans une zone très retirée du Mexique, à forte population Indienne au sens Américain du terme, je me suis alors dit si Renault avait réussi cette implantation pratiquement dans une brousse pleine d’Indiens ne pourrait- il pas le faire chez nous avec des paysans algériens (rire), ce qu’on nous présente comme choses difficiles, impossible etc…Vous avez un cas devant les yeux qui le contredit, et j’ai visité aussi l’Espagne et je me suis retrouvé devant le même phénomène, le ministre de l’Industrie de ce pays, m’avait dit, on leur a donné (aux constructeurs) un certain délai et s’ils “n’intègrent” pas, les usines seront fermées. Lors d’une autre mission en Italie, je discutais avec des industriels Italiens qui m’informent qu’il existe une usine qui fabrique des Austin anglaises, et je leur demande combien fabriquent-ils de ces modèles par an, on me répond : 40 000. Et un beau jour, on découvre dans nos statistiques, qu’en 1961, on avait importé 41 000, c’est vrai, il y avait les Européens et l’armée française. En ce qui concerne Renault au bout d’un certain temps, nous leur avons dit, fichez-nous la paix, nous ne voulons plus de vos montages, et c’est ainsi que nous avons été libéré de ce chantage, et l’usine de Maison Carré est devenue une fabrique de bétonnière et nous avons gardé les ouvriers. Depuis, nous nous sommes retrouvés dans une autre philosophie, c’est comme ça que l’on a fabriqué nos camions, nos tracteurs et que l’on a commencé à chercher des constructeurs pour les voitures, on a contacté tous les industriels automobiles et pratiquement personne ne voulait s’installer chez nous.
La raison était la même que Renault par rapport à la rentabilité où il y avait d’autres arguments ?
Al’époque, l’Algérie était considérée comme un pays révolutionnaire, ils ne voulaient donc pas investir, ce qui les intéressaient, c’était le pétrole et de nous vendre leurs produits.
Mais vous n’avez pas abandonné l’idée d’une usine en Algérie et vous êtes revenu à la charge par la suite ?
On s’est rapproché en France de Peugeot, Simca, Citroen, Renault et en Allemagne de Volkswagen et Mercedes pour les camions et petit à petit, on est arrivé à la conception d’un projet avec Renault pour la production de 150 000 véhicules par an, c’était un peu un pari sur l’avenir. Le gros du projet, c’était de démarrer avec un modèle de petite voiture celle qui devait venir après la R4 et puis lancer une routière c’est à dire une voiture moyenne.
En quelle année cette discussion a pris forme pour ce nouveau projet, et comment se sont déroulées les négociations… ?
C’était autour de 1975, les négociations étaient menées côté français par Pierre Dreyfus, qui était à l’époque à la tête de Renault, on est donc arrivé à une forme d’intégration à peu près de 60%. Nous devions donc fabriquer en Algérie pratiquement toutes les pièces spécifiques à Renault, afin de ne pas dépendre à un moment ou un autre du constructeur. L’équipe de M. Dreyfus était motivée et même acharnée à faire aboutir le projet, cependant, il y avait un obstacle au départ qui m’a fait hésiter et je regrette, ce véhicule fabriqué chez nous reviendrait moins cher si on l’importait, pour cela, il nous fallait un financement particulier, c’est-àdire plus long, avec un intérêt moins lourd, le gouvernement Français même s’il a fait un effort, cela restait à nos yeux insuffisant, c’était à l’occasion de la visite du président, M. Giscard D’Estaing en Algérie. Mais à l’époque, on commençait à faire attention à l’endettement extérieur. Le projet global a été estimé à 20 milliards de francs, car nous voulions donner à chaque grande ville en Algérie son cachet ; Alger, c’était Rouiba, Arzew pour la pétrochimie, Constantine pour les moteurs et tracteurs… et l’usine de voiture à Oran avec 13 000 travailleurs uniquement pour le site.
Vous voulez dire que si ce projet n’a pas abouti vous êtes en partie responsable ?
Je veux dire, qu’à l’époque je n’ai pas sauté le pas et je n’ai pas pris le risque de fabriquer un véhicule et que l’on m’aurait reproché son prix de revient, compte tenu de l’évolution des choses, et l’inflation, avec le prix de l’époque. Aujourd’hui, on s’en serait sorti.C’est vrai que le projet était prêt, il attendait simplement le signal pour démarrer et aussi, il faut rappeler qu’en 1975, il y avait l’affaire du Sahara, c’était une hésitation politique et moi Je n’ai pas forcé la main, on aurait pu avoir une usine à Oran. Même pour la France c’était un contrat énorme.
Vous avez sûrement suivi les commentaires de la presse nationale au sujet de l’implantation de Renault à Tanger au Maroc et que pensez vous de cet investissement de 1milliard d’Euro et une production de 400 000 unités, dans un pays voisin où le marché automobile n’est pas aussi important qu’en Algérie ?
Allez savoir ce qu’il installe ? Qu’est ce qu’il fait et que va-t-il produire ? Et puis, ça toujours été un problème entre nous le Maroc et la Tunisie, vous ouvrez les frontières au nom du Maghreb, il s’installe au Maroc donc ils viennent chez nous. En Algérie, les charges sociales sont plus ou moins alignées sur le modèle français, donc plus élevées par rapport a nos voisins, ajouté à cela, c’est des régimes où les travailleurs ne vous cassent pas la tête, il ne faut pas que la misère imposée au peuple viennent faire la concurrence chez nous.
A t-il des chances pour le Maroc d’exporter et de vendre ses véhicules pour les Algériens ?
Cela dépend des Algériens, qui ont une influence politique, et cela ce n’est pas seulement pour les véhicules, c’est valable pour les autres produits.
L’Algérie a failli racheter Citroën
La marque aux cheverons, chère à André Citroën qui cherchait preneur, avant d’être reprise par Peugeot, l’Algérie était en course pour l’acheter et cela au moment même, où notre gouvernement multipliait les discussions avec différents constructeurs afin de lancer une usine de fabrication de voitures. M. Abdessalem nous a confié .que si Citroën n’est pas passé sous le giron de l’Etat algérien, c’est tout simplement qu’à l’époque, la politique socialiste ne pouvait le permettre, car difficile d’admettre qu’on pouvait gagner de l’argent à l’extérieur.
Le Président Boumediene était d’accord
C’est de ma faute j’aurais du oser et à l’époque Boumediene était prêt à me suivre, mais les chiffres qu’on m’avait présenté faisait qu’un véhicule fabriqué chez nous coûterait en devise plus chère…Boumediene m’avait dit prenez l’argent et faites votre usine, les écritures bancaires on verra après, les banques et l’usine c’est aussi l’Algérie.
L’usine de Rouiba n’est pas à vendre
C’était à l’époque ou Belaid Abdessalem était chef du gouvernement, les Coréens voulait acheter les usines de Rouiba, la réponse était sèche : j’ai refusé je leur est demandé de s’associer ou de travailler ensemble, mais vendre l’usine de Rouiba, jamais !
Mourad Cheboub
0 thoughts on “C’est de ma faute… je le regrette”